COMPRENDRE KIMPA VITA AUJOURD'HUI
ENTRE MEMOIRE ET HISTOIRE
INTRODUCTION
« L'histoire, comme fait, est le développement de l'esprit humain tel qu'il se manifeste dans ses relations sociales et ses rapports avec l'État. Comme science, elle est l'intelligence de ce développement. Comme art, elle en est la reproduction ou la représentation par la parole. » (Le Grand Dictionnaire universel du XIX e siècle).
La mémoire quant à elle est constitutive de l'Histoire du temps présent. En tant que telle, elle est l'ensemble des souvenirs conscients des évènements passés dont la compréhension est largement tributaire du travail des Historiens. De ce fait, la Mémoire du temps présent ne saurait faire l'économie d'une intelligence pleine du passé « contemporain » et lointain.
La fameux « devoir de mémoire » est donc une invitation pressante faite aux Historiens pour expliquer les temps actuels.
Il est vrai que la mémoire se nourrit de l'Histoire. Cependant celle-ci est tributaire de la Mémoire en terme d'intuitions et de préoccupations.
Histoire et Mémoire entretiennent donc une tension dialectique à la base du progrès scientifique, culturel et humain des peuples.
En ce qui concerne Kimpa Vita , cette tension est quasi-inexistante. Mémoire et Histoire s'opposent. Les propos qui suivent sont une tentative pour réconcilier les deux mais aussi pour réconcilier notre peuple avec son passé.
Nous posons d'abord les jalons biographiques de Kimpa Vita (I), puis nous évoquons l'action de Kimpa Vita tant sur le plan de son contenu conceptuel que sur le plan de son actualité dans notre pays (II) ; nous allons terminer par quelques propositions afin que Kimpa Vita ne tombe pas dans l'oubli (III) avant la conclusion finale.
I. JALONS BIOGRAPHIQUES
Ce 4 juillet 1706 [1] , alors que les flammes enveloppent la jeune et belle Kimpa Vita dite Dona Béatrice , leurs paternités capucines Lorenzo da Luca et Bernardo da Gallo croient avoir mis fin à ce qu'ils appelaient un schisme au sein du peuple de Dieu du Royaume Kongo. Celle qui était mise à mort d'une manière aussi atroce était âgée de 20 ans peut-être. Après deux ans d'un ministère ininterrompu, elle a bâti une église puissante à travers tout le royaume kongo. La secte des antoniens.
Kimpa Vita a cristallisé autour de sa personne la haine des missionnaires conseillers du Roi, qui en étaient venus à interférer de manière trop voyante avec la conduite des affaires du Royaume ; mais aussi celle des « dinosaures » dont le comportement frisait le mépris pour leur peuple.
Au-delà de l'évangélisation, les prêtres avaient pris partie pour le Roi Pedro IV installé à Bula. Ils le surnommèrent « le pacifique ». Le Roi était devenu leur otage.
Pour Kimpa Vita cette situation ne pouvait pas durer. Le Royaume devenait chaque jour un champ de ruine : l'esclavage battait son plein, Mbanza Kongo la ville royale était dépeuplée. Les deux rois qui se disputaient le pouvoir refusaient d'y aller. Jean II avait élu domicile à Kimbangu. Le désespoir avait gagné les cœurs des Bakongo.
Alors qu'elle était enfant Kimpa Vita, des enfants blancs, le rosaire en main, apparaissaient pour jouer avec elle. Quelques années plus tard, elle tomba malade et agonisa. C'est alors que Saint Antoine de Padoue vint habiter en elle et prit possession de son cœur pour transmettre le message de Dieu aux Ne Kongo.
Quoique baptisée sous le prénom de Béatrice, Kimpa Vita ne fut pas coupée de ses racines. Elle était initiée, elle était également Nganga Marinda.
Kimpa Vita prit à cœur la mission que Dieu lui avait confiée et se mit à prêcher. Elle dénonça la superstition sous toutes ses formes, fit brûler les fétiches y compris les croix, réclama l'indépendance du Kongo, délivra les esclaves et ainsi se mit à dos toute la communauté expatriée qui tirait de puissants revenus de tous les trafics malsains dans le royaume. Quand elle eut miraculeusement un enfant, les prêtres en profitèrent pour l'accuser d'imposture : elle fut brûlée vive à Divululu en compagnie de Saint Jean son ami et de son enfant selon la plupart des chroniqueurs. Elle mourut le nom de Jésus dans la bouche.
II. ENTRE LE KONGO D'HIER ET LE CONGO D'AUJOURD'HUI
II.1. LES IDEES MAITRESSES DE LA PENSEE KIMPAVITIENNE
Parlant des peuples noirs, les maîtres à penser de l'Occident ont dit entre autres :
- Je suspecte les Nègres et en général les autres espèces humaines d'être naturellement inférieurs à la race blanche. (David Hume, économiste anglais, 1711-1776)
- La nature n'a doté le Nègre d'Afrique d'aucun sentiment qui ne s'élève au-dessus de la niaiserie. (Emmanuel Kant, philosophe allemand, 1724-1804)
- La variété mélanienne est la plus humble et gît au bas de l'échelle (humaine). Comte Gobineau, diplomate, écrivain français, 1816-1882.
A moins de céder à ce type des considérations qui malheureusement ont toujours cours aujourd'hui – nous y reviendrons par la suite – nous sommes enclins à penser qu'aucune praxis humaine ne saurait être sans une conceptualisation préalable, étant entendu que cette activité mentale est l'apanage des êtres humains.
Aussi, en toute honnêteté, l'intellectuel, que nous sommes supposés incarner dans notre pays se doit de lire l'action de nos héros en cherchant obligatoirement à en déterminer le contenu conceptuel surtout lorsque les vicissitudes de la vie ne leur ont pas permis de les mettre par écrit pour correspondre aux canons auxquels notre formation académique nous a habitués.
C'est ce que Phoba Mvika a fait avec perspicacité dans sa thèse de Doctorat intitulé Bergson et la théologie morale présentée à l'Université d'Amiens en France en 1976 et qui en notre sens reste toujours d'actualité.
Les Idées de Kimpa Vita peuvent être résumées comme ci :
- sur le plan politique, elle prône la légitimité populaire et divine selon les traditions séculaires du Royaume Kongo
- sur le plan philosophique, elle prône l'égalité des races
- sur le plan théologique, elle prône l'universalité du bénéfice de la révélation chrétienne. Elle est pour une inculturation de la foi
En quoi est ce que ces idées ont elles un sens aujourd'hui pour notre peuple et que peuvent elles représenter ?
II.2. KIMPA VITA MODELE POUR NOTRE PAYS AUJOURD'HUI
> La légitimité populaire et divine
A l'époque où elle vient au monde, la situation du Royaume Kongo n'est pas si différente de celle de notre pays. Le Royaume est divisé : deux rois chacun dans son coin, avec sa cour et ses partisans et aussi ses coopérants étrangers : Hollandais mais surtout Portugais, « Juifs mécréants » fuyant l'inquisition s'efforçant chacun d'acquérir qui une mine d'or, qui un lot d'esclaves, qui d'autres produits locaux tout en vendant évidemment des armes souvent plus dangereuses pour le propriétaire que pour la cible qu'elle soit humaine ou non…
Il y a peu le Congo était divisé : chaque rébellion avait son chef et sa cours quelque part ; des conseillers tant militaires que politiques venus de nulle part et de partout vendaient leur service et récupérait par ci par là le monopole de l'exploitation de telle mine ou de telle matière précieuse. La situation est aujourd'hui plus complexe : là bas il y avait deux rois, ici on a 1+4 présidents sans compter les groupuscules qui sévissent çà et là : Mayi Mayi, Hema, Lendu, Interhamwe …
Autant les Bakongo étaient tristes et dans la misère, autant nous le sommes aujourd'hui. A l'époque Kimpa Vita a prôné la légitimation populaire et divine selon les traditions séculaires kongo. Aujourd'hui elle nous dirait et surtout à eux : « Allons vers des élections libres et transparentes afin que Dieu parle à travers les voix de son peuple. » Message à double portée : Le peuple doit prendre sa destinée en charge. Dieu parle à travers lui et il doit en être conscient.
Il nous faut une Kimpa Vita aujourd'hui.
Comme par hasard, parmi les candidats à la Présidence de la République : il y a trois Filles de Ne Kongo. Une seule aurait peut-être suffi !
> L'égalité des races
Kimpa Vita prônait l'égalité des races et l'autonomie de la conscience. Ces idées qui ont l'air d'être des lieux communs n'étaient pas aussi évidentes pour l'époque. Encore que même aujourd'hui, les considérations de Hume, Kant et Gobineau reprises plus haut continuent à avoir bonne presse et parfois là où on ne les attend pas. Il nous semble aujourd'hui que les premiers convaincus de la supériorité de la race blanche sont aujourd'hui les Noirs eux-mêmes. Chez nous, il n'est pas rare d'entendre des gens réclamer la recolonisation du Congo par les Belges. « Tango ya Flamand ezalaka boye te ». « Mboka oyo ekobonga soki mundele azongi ».etc… Ces considérations sur lesquelles il sied de ne pas trop s'attarder sont autant d'attitudes de résignation et de découragement. Kimpa Vita disait aux Kongo et continue à nous le dire aujourd'hui : il n' y a pas de race privilégiée. Tous les peuples de la terre sont au même titre dépositaires de l'Esprit divin et donc de l'intelligence qui va avec. Nous n'avons pas besoin des autres pour mener une réflexion jusqu'au bout surtout lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes propres à nous. « Au Ciel il y a ni blancs ni noirs » disait-elle. Prendre conscience de ce message suppose de notre part que nous nous sentons dans l'obligation de participer à la marche vers la progrès de l'humanité pas seulement comme réceptacles des concepts pensés et définis ailleurs mais surtout comme acteurs et inventeurs, innovateurs. Cheikh Anta Diop ne disait pas autre chose quand il demandait aux Jeunes Africains de s'armer de science afin de pouvoir un jour porter un jugement par eux-mêmes sans recourir à une autorité quelconque sur ses investigations à propos de la race des anciens Egyptiens.
Croire en notre génie créateur, arrêter de nous mouler dans des schèmes qui entretiennent une mentalité de colonisé et cela à tous les niveaux. Il est tout de même triste de constater que même chez les universitaires, il est plus glorieux de défendre une thèse à Cambridge, Harvard, La Sorbonne ou à Melbourne qu'à l'Université Kongo ou aux Facultés Catholiques.
> Pour une inculturation de la foi
« Kimpa Vita encourageait les Noirs d'être contents d'eux car eux aussi avaient des Saints ». C'est en ces termes que Bernardo da Gallo, Prêtre capucin de son état décrit l'enseignement hérétique de la prophétesse. Des Saints Noirs il ne pouvait y en avoir selon son entendement. Elle disait aussi que Jésus était né à San Salvador, donc qu'il était Noir, que Marie était une Mukongo née d'une servante du marquis Nzimba Mpanghi. Comble de sacrilège, Jésus avait reçu son baptême dans l'Inkisi. Les sacrements ne servent à rien : Dieu veut l'intention. Voilà autant de griefs suffisants pour les missionnaires pour condamner Kimpa Vita au bûcher. C'est le destin de ceux qui ont raison trop tôt. Dans toutes nos églises aujourd'hui, Jésus est bien représenté sous les traits d'un personnage noir sans que cela ne choque les descendants des capucins. Comment pourrais-je engager ma foi dans un personnage qui serait en tout point étranger à ma culture ? Kimpa Vita proposait déjà une réponse à l'époque. Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime. Si les Catholiques semblent être dans la bonne direction (Nous attendons toujours le jour où le bon vieux de palme remplacera le vin de messe) il n'en est pas de même dans les églises de réveil. L'aliénation y atteint des sommets. Les enfants portent tous les noms de la Bible comme si Matondo, Nsaku, Kimfuta était honteux à porter. La théologie des liens pousse les gens à changer de nom : les jumeaux ne s'appellent plus Nsimba ni Nzuzi car ayant été rachetés par le sang de Jésus ils n'ont plus de raison de porter un nom venu de l'âge du paganisme ! CQFD. Si Kimpa Vita était encore là aujourd'hui elle dirait certainement : arrêter de jeûner, Dieu veut l'intention ! Les rituels deviennent parfois des entraves à la liberté or les enfants de Dieu où qu'ils soient sont avant tout des hommes libres.
Voilà sommairement présenté de notre point de vue comment comprendre Kimpa Vita aujourd'hui. Encore faudrait-il que sa mémoire ne tombe dans l'oubli. C'est le propos qui suit.
III. POUR QUE LA FILLE DE NE KONGO NE TOMBE DANS L'OUBLI…
Le rôle joué par Kimpa Vita dans le Kongo au début de ce XVIIIe siècle est saisissant. En témoigne l'abondante littérature sur le sujet et les nombreux travaux scientifiques qu'on y consacre de par le monde. Pourtant chez les Kongo, l'icône qu'elle est devenue tend à être oubliée. Sa mémoire est plus ou moins gardée par les Eglises telles Ecuse de Tata Gonda, L'Eglise Kimbanguiste, l'Eglise Vuvamo… avec une grande part de fantasme et moins d'exactitude scientifique.
La situation est donc la suivante : d'un côté les scientifiques avec la rigueur qui est la leur travaillent sur les antoniens, publient des ouvrages et autres articles mais ceux-ci restent dans les belles bibliothèques de la Grégorienne ou de Canisius, et ce dans une langue qui n'est pas toujours accessibles ; de l'autre côté, les Eglise locales perpétuent la mémoire de la Sainte mais restent inaccessibles pour ceux qui s'accommoderaient plus tôt d'une mémoire « laïque ».
La mémoire se maintient surtout à travers des œuvres accessibles : cinéma, théâtre, roman mais aussi à l'école fondamentale pendant les leçons d'histoire. Notre programme d'enseignement ne répond pas à cet objectif.
Pour que la Fille de Ne Kongo ne soit pas oubliée il faut qu'elle soit étudiée à l'école. Ensuite il faut que nos écrivains et dramaturges produisent des œuvres inspirées de son histoire. A ma connaissance, aucun travail artistique de ce type n'a encore été fait dans notre pays. A ce propos, nous avons écrit il y a 2 ou 3 ans un roman intitulé « La Fille de Ne Kongo » où habilement nous avons gardé la véracité historique sans oublier la fantaisie propre au romancier. Ce texte qui a été apprécié par des personnes averties (théologie,s, écrivains, journalistes) n'a toujours pas été édité malgré nos efforts. Nous l'espérions pour ce troisième centenaire mais hélas ce ne sera peut-être pas le cas.
CONCLUSION
La commémoration du troisième centenaire de la mort de Kimpa Vita est pour tous l'occasion :
1° de rappeler le chemin parcouru dans les rapports entre les peuples dans le monde ;
2° de se poser la question du sens vrai de notre foi et de notre engagement pour la res publica ;
3° de poser le problème du contenu de l'enseignement que nous donnons à nos enfants et des objectifs poursuivis à travers eux.
Il est temps une fois pour toute de nous lever et de prendre notre destin en main. Ceux qui n'ont rien à donner aux autres dans l'agora en sont exclus au fur et à mesure qu'il s'agrandit. Nous n'y apporterons pas les valeurs de l'Occident, ce serait un non sens, mais plus tôt notre culture dans ce qu'elle a de plus fécond.
Magloire MPEMBI NKOSI MD
Assistant en Neuropsychiatrie
CNPP MONT AMBA
KINSHASA RD CONGO
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REFERENCES
- Banona Nseka, L'action de Kimpa Vita comme une prise de conscience de la dignité de l'Homme Mukongo, in Les mouvements de résistance Kongo à l'évangélisation du 16e siècle à nos jours. Actes du 2 e colloque de Mayidi, Mayidi, 1992
- Norbert C Brockman, Dictionary of African Biography. Algonac, MI, and New York: Reference Publications, vol. 1, 1977; vol. 2, 1979
- Phoba Mvika, Bergson et la Théologie morale, Thèse de Doctorat , Atelier de reproduction des thèses, Lille , 1976.
- John K Thornton, The Kongolese Saint Anthony: Dona Beatriz Kimpa Vita and the Antonian Movement, 1684-1706. New York: Cambridge University Press, 1998.
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