(Suite et fin)
Questions directes à Marie-Thérèse Nlandu
Avocate au Barreau de Kinshasa et femme politique, Marie-Thérèse Nlandu Mpolo Nene évoque les circonstances de son arrestation et les conditions carcérales qu’elle a vécu tant à Kin-Mazière, le siège de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police (DRGS) qu’à l’ex-prison centrale de Makala.
«Les Congolais doivent se mobiliser pour démanteler la police de Kin-Mazière»
Comment s’est passé votre premier jour de détention à « Kin-Mazière » ?
J’ai passé ma première nuit en ce lieu le 21 novembre. Comme je l’ai dit précédemment, le fameux colonel Mukalay m’a rappelé la conversation téléphonique que j’avais eu la veille avec un correspondant qui m’avait été présenté par le pasteur José Inonga comme étant le vice-président Bemba. Mukalay me dira que ma conversation avait été enregistrée par ses services. C’est à partir de ce moment que j’ai compris qu’il s’agissait d’un « complot militaire ». Quelques heures plus tard, le même Mukalay me lance : « Maître Nlandu, la Cour suprême de justice est entrain de brûler en ce moment. Je vais vous imputer cet incendie ». Etrangement, tout au long de mon procès, il n’y a même pas eu d’instruction sur ce sinistre. Je tiens à vous dire que les violations de procédure que j’ai connues sont très graves pour le maintien de la paix dans notre pays.
Un exemple de ces violations ?
Il y a d’abord le fait que je sois arrêtée par des OPJ (Officiers de police judiciaire) sans que j’ai pu commettre au préalable une infraction. Pire encore, aucun dossier judiciaire n’a été ouvert jusqu’à ce jour. L’auditeur militaire a été chargé d’instruire mon cas sur base sans doute d’un rapport verbal. Il s’agit là d’une violation grave de la procédure. La loi dit ceci : aucune arrestation ne peut être opérée sans que l’on ait constaté préalablement l’infraction. Au moment de mon arrestation, je n’avais commis aucun fait réprimé par la loi. Lorsque l’auditeur militaire est arrivé à Kin-Mazière, on lui a demandé de faire un « montage » d’ infractions à mettre à ma charge. Ce magistrat n’a pas mis moins d’un mois pour accomplir la « mission » lui confiée. Ce qui est encore plus grave est que les magistrats militaires travaillaient sous les ordres des OPJ. Alors que ce sont les seconds qui doivent agir sur instruction des premiers. Lorsque les OPJ se mettent à commander les magistrats, je peux vous assurer qu’il n’y a rien à espérer du respect des droits humains.
Comment expliquez-vous que des OPJ aient pu commander des magistrats ?
Je vous relate ici des faits que j’ai pu constater. La Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police est une police politique. J’ai demandé aux « responsables » de démanteler Kin-Mazière qui est, pour moi, comparable aux « SS Nazis ». Les détenus sont torturés dans cet immeuble. Nombreux sont ceux qui y perdent la vie suite à de mauvais traitements. Je vais demander une enquête internationale sur le fonctionnement de la police de Kin-Mazière. Avez-vous été torturée ?
Non. J’ai, en revanche, été soumise à une torture morale. Pendant que j’étais assise à même le sol, le colonel Mukalay donna l’ordre qu’on torture un de mes gardes sous mes yeux. J’ai vu un père de famille crier de douleurs comme un petit enfant sous les décharges de la matraque électrique. Les autres membres de mon personnel ont subi un traitement analogue au niveau de l’appareil génital. Certains d’entre eux redoutent de développer la stérilité. Des policiers leur introduisaient des bâtons dans la voie anale. Il faut que l’opinion sache la loi de la jungle qui règne à Kin-Mazière. Toutes ces pratiques ne devaient-elles pas être bannies au moment où le Congo s’est engagé sur la voie démocratique ? La Déclaration universelle des droits de l’Homme condamne tout traitement dégradant et la torture. A Kin-Mazière, la torture tient lieu de loi. L’auditeur près le tribunal militaire de la garnison de Kinshasa-Gombe a même osé dire que « la torture est parfois nécessaire pour arracher des aveux ». C’est tout simplement inimaginable dans un Etat qui se dit démocratique !
Avez-vous rencontré le fameux colonel Raüs ?
Je ne l’ai jamais rencontré. Il est certain qu’il était au courant de tout ce qui se faisait contre moi. C’est Raüs qui ordonnait tout. Le colonel Mukalay est le numéro deux de la police de Kin-Mazière.
Dans quelles conditions a eu lieu votre transfert à la prison centrale de Makala ?
Mon transfert s’est déroulé dans de très mauvaises conditions. Dans la soirée du 21 novembre, quelques agents de Kin-Mazière ont eu l’imprudence de murmurer entre eux que « nous allons tuer cette femme ». Pour des raisons de sécurité, je tais le nom de la personne qui m’ont rapporté cette information. Des détenus se sont mis à « intercéder » par des prières. J’ai peut-être eu la vie sauve grâce au fait que je n’avais pas fermé l’œil. J’avais passé la nuit en position assise dans un local. Auparavant, mon audition a duré moins de deux heures. Elle a commencé aux environs de 20h50. J’étais un peu fatiguée. D’ailleurs, la loi prohibe l’organisation des interrogatoires à partir de cette heure. C’est dans l’après-midi que j’ai été emmenée à Makala. A un moment donné, je pensais que j’allais être relâchée.
Pouvez-vous citer une des questions qui vous ont été posées ?
J’ai été interrogée sur le « port illégal d’armes ». En réponse, j’ai dit : «Je suis au courant de rien. Je suis venue à Kin-Mazière pour rechercher mes collaborateurs qui ont été enlevés ». J’ai ajouté : « Vous avez pris mon téléphone et mes chaussures. En dehors de ces objets, où sont les armes dont vous me parlez ? » Personne n’a pu exhiber une seule grenade saisie sur mes collaborateurs. D’ailleurs, j’ai demandé l’assistance d’un avocat. Celui-ci a failli d’ailleurs être arrêté. Sans qu’il y ait eu flagrance, j’ai été interrogé sur des choses qui m’étaient inconnues. Un enquêteur a prétendu qu’un de mes collaborateurs portait une arme. A supposer que cela soit vrai, en quoi étais-je concernée ? En matière pénale, la responsabilité est individuelle. C’est un principe sacré. Ce principe n’a pas été respecté en ce qui me concerne. Il m’a été appliqué une sorte de « droit coutumier pénal » comme dans une des fables de La Fontaine : « Si ce n’est pas vous, c’est votre frère. Si ce n’est pas vous, c’est votre patronne… ». L’objectif était clair : il fallait me « couler ». J’ai échappé à la mort par trois fois. D’abord, le 20 novembre au cours d’un faux rendez-vous avec M. Bemba . Ensuite, le 21 novembre au soir à Kin-Mazière. Enfin, le 25 novembre à Makala. Mon audition s’est poursuivie le mercredi 22 novembre.
Votre défense a été assurée par Me Jean-Joseph Mukendi wa Mulumba
Effectivement. Il n’était pas seul. D’ailleurs, je profite de cette occasion pour lui exprimer toute ma gratitude. Je remercie également l’UDPS qui m’a soutenu tout au long de cette affaire. Je tiens à souligner que j’ai bénéficié d’une solidarité sans faille de la part de mes confrères avocats. Certains venaient de Bandundu ou de Mbuji-Mayi. Le Barreau de Kinshasa avait mis à ma disposition une vingtaine d’avocats. Mes collaborateurs et moi avons bénéficié de brillantes plaidoiries. Je crois pouvoir dire que ces plaidoiries feront date.
Vous êtes transférée à Makala
Mercredi 22 novembre, je suis transférée à Makala. Au moment du départ, j’étais très exténuée. Je n’avais rien mangé depuis deux jours et ma tension artérielle avait augmenté. Il faut dire que je n’avais pas pu prendre mes médicaments. Mes ennuis de santé étaient manifestement le cadet des soucis de policiers de Kin-Mazière.
Pourquoi n’avez-vous pas pris vos médicaments ?
Je n’étais pas en possession de mes médicaments au moment de mon interpellation.
Avez-vous formulé une demande auprès des responsables du lieu ?
Vous semblez ignorer ce qui se passe à la police de Kin-Mazière ! Qui est ce responsable qui s’y soucierait de l’état de santé des personnes en détention ? Je le dis et répète : la police de Kin-Mazière n’a rien à envier aux méthodes des « SS Nazis ». Les Congolais doivent se mobiliser pour obtenir la dissolution de cette « unité spéciale » de la police nationale. Il faut démanteler cette police politique ! Aucune démocratie ne peut tolérer l’existence d’une police politique. La Demiap (Etat-major des renseignements militaires) doit subir le même sort. Lorsque vous prenez la route pour aller au Bas-Congo, il ne faut surtout pas vous arrêter devant un portail bleu à « Matadi-Kibala ». Vous risquez de vous faire arrêter par des agents de la Demiap qui opèrent à cet endroit. Des détenus y sont torturés. Les services de sécurité ont pour mission de débusquer les ennemis qui veulent détruire le pays et non brimer les paisibles citoyens en général et ceux qui se battent pour le respect des droits humains et le changement en particulier. A l’Est, il y a de gros problèmes. Pourquoi ces services ne vont-ils pas là-bas pour éradiquer l’insécurité ? J’entends demander à la communauté internationale de se pencher sur l’état des droits de l’Homme au Congo.
D’aucuns ont été surpris de vous entendre remercier Joseph Kabila et son épouse Olive Lembe du fait du rôle qu’ils ont joué dans le processus de votre libération.? .
J’ai suivi l’exemple de Nelson Mandela. A sa sortie de prison, Mandela a fait un pas vers la conciliation. Je remercie Madame Olive pour la simple raison qu’elle était intervenue auprès de son mari à mon sujet.
Avez-vous eu un contact direct avec elle ?
J’ai eu l’occasion de parler avec un émissaire. Il me semble que la moindre de chose que je devais faire c‘est de dire simplement « merci !».
Votre acquittement n’est-il pas une juste réparation d’une injustice commise par les détenteurs du pouvoir d’Etat ?
Je continue à croire que l’acte posé par Madame Olive est louable. En ce qui concerne M. Kabila, je l’ai remercié parce qu’il m’a fait savoir qu’il n’était pas opposé à mon acquittement. Dans le cas contraire, je ne serai pas ici aujourd’hui. Le représentant du ministère public aurait pu interjeter appel.
Ne devrait-on pas plutôt parler de repenti tardif de la part d’un pouvoir qui a subi des pressions de toutes parts ? Ne pensez-vous pas que le tribunal militaire était manipulé par ce même pouvoir?
Je n’ai pas l’impression que ce tribunal a été manipulé. Il me semble que le verdict rendu a été motivé de manière inattaquable. Ce jugement redore le blason de la Justice congolaise.
A quoi attribuez-vous ce changement de fusil d’épaule de la part de ces magistrats militaires qui ont usé et abusé des manœuvres dilatoires tout au long du procès?
Il faut reconnaître que la défense a été très combattive. Mes avocats avaient exigé l’administration des preuves matérielles établissant les faits mis à ma charge. En fait de preuves, il n’y avait que des supputations. C’est pourquoi je tiens à dire que l’attention des pouvoirs publics doit être attirée sur le déroulement de l’instruction judiciaire. Il y a des réformes urgentes à opérer. Il est temps qu’on cesse « de blaguer » avec la liberté de la personne humaine. Rien ne changera dans ce pays aussi longtemps que les droits humains ne seront pas respectés et que la justice sera rendue non pas selon le prescrit de la loi mais en fonction des origines du justiciable.
Revenons enfin à votre première nuit passée à Makala
Avant le départ, j’ai été interrogée avant d’être enfermée dans un local muni d’un cadenas. Comme je l’ai dit précédemment, j’étais très fatiguée. Quelques heures après, un policier est venu me dire que c’est le moment de partir. J’ignorai tout sur la destination. En descendant les marches quelqu’un m’a poussé. Je suis tombée. Des policiers ironisaient en criant en lingala : « Kisi na ye esili ! Kisi na ye esili !» ( Traduction : « Ses gris-gris n’opèrent plus »). Un autre policier d’enchaîner en ricanant : « Elle s’est laissée tomber. C’est de la ruse !». Après, ils m’ont jeté dans le véhicule en partance pour Makala. Qu’entendez-vous par « jeter » ?
Comme vous l’avez entendu. On m’a « balancé » dans une camionnette où se trouvait déjà mon personnel. Nous étions escortés comme des criminels. Nous avons été traités de la manière la plus inhumaine. Durant deux jours, je n’avais pas pris un bain. Nous sommes arrivés à Makala aux environs de 19 heures. Un agent nous a intimé l’ordre de nous asseoir à même le sol. Après un contrôle d’usage, nous sommes emmenés aux pavillons. Nous avons été placés, durant un mois, dans une cellule située juste à côté des toilettes. Je suis tombée malade à cause des odeurs qui en émanaient. Inutile de dire que la cellule était infestée des moustiques. Un mois après, j’ai été transférée à une autre cellule. Je me suis efforcé de garder un bon moral.
Quelle était votre recette pour ne pas déprimer
Je me disais sans cesse qu’il y a un « Dieu vivant ». Et que s’Il a sauvé Silas et Paul, il pouvait le faire aussi pour moi. Bref, je me suis construit l’image d’un Dieu constamment présent à mes côtés. A Makala, j’ai aperçu des détenus qui souffraient de la dépression. J’ai vu une femme, répondant au nom de Ndelela, qui est devenue une déséquilibrée mentale. Durant mon incarcération, j’ai développé une infection au niveau des voies respiratoires.
Voulez-vous insinuer que les prisonniers ne bénéficient pas d’un minimum de soins de santé à Makala?
Seuls ceux qui disposent des moyens personnels peuvent recevoir des soins dignes de ce nom. Les autres doivent « se débrouiller ».
Combien de jours avez-vous passés en détention ?
Au total, j’ai passé exactement cinq mois et 9 jours. Avez-vous rencontré le pasteur Fernando Kuthino ?
Non. Il n’était pas facile d’entrer en contact avec d’autres détenus. D’ailleurs, je n’ai eu un premier contact avec mes collaborateurs qu’à la fin du procès. Avez-vous au moins aperçu le colonel Eddy Kapend, l’ex-aide de camp de feu Laurent-Désiré Kabila ?
Par le pur de hasard, j’ai croisé le colonel Kapend au dispensaire de la prison.
Que vous a-t-il dit ?
Il m‘a laissé entendre qu’il n’a jamais compris les motifs des poursuites engagées à son encontre autant que sa condamnation dans le cadre du procès sur l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila. Il tient bon au plan du moral. Je n’ai pas suivi ce procès. Mais le fait que tous les condamnés continuent, six années après, à clamer leur innocence, il y a un profond malaise. J’ai partagé le même pavillon avec celle qu’on appelle « Mama Nelly » (Nelly Twite Ngoie). Il s’agit de la secrétaire de LD Kabila. Quand Kabila a été tué, elle n’était pas présente au Palais de marbre. Elle se trouvait au centre ville quand on lui a appris la nouvelle. Il y a à boire et manger dans ce procès. Je leur ai dit qu’il y a moyen d’obtenir une révision du procès dès qu’il y aura de nouveaux éléments. Nous devons mettre un accent sur la justice ; sur la protection des droits humains. Un pays ne peut se dire « démocratique » tant qu’ il n’y a pas de justice. Un pays où il y a des procès politiques ne peut non plus se dire « démocratique ». J’ai rencontré à Makala un adjudant du nom de Eugénie Bokolombe. Elle est accusée de participation à un mouvement insurrectionnel. Il lui est reproché d’avoir « incendié » le bâtiment de la Cour suprême de justice. Elle se trouvait, dit-elle, à Kwilu-Ngongo au moment des faits. Elle est originaire de la province de l’Equateur. Il faut une mobilisation nationale et internationale pour stopper la persécution dont sont l’objet les ressortissants des provinces du Bas-Congo, de l’Equateur et du Kasaï.
Quel est votre sentiment sur la manière dont le Congo est gouverné ?
Je n’ai pas le sentiment que nous avons un pays. Le pays ne nous appartient plus.
Que faire ? Il faut continuer à se battre pour que le pays nous revienne.
Se battre. Comment ?
Il faudra entreprendre une grande réflexion. C’est bien dommage de constater que certains de nos frères originaires du Katanga - pas tous, fort heureusement - font du pouvoir d’Etat une affaire personnelle. Pour ceux là, le pouvoir n’est qu’un moyen pour écraser les autres. Aujourd’hui, il faut être « Katangais » et Swahiliphone pour être bien traité. Il faut craindre que tous les originaires du Katanga « paient » demain, alors que tous n’ont pas tiré profit du système en place. C’est pour cela que nous interpellons la communauté internationale qui a soutenu un processus électoral qu’elle savait biaisé dès le départ. Les élections ont été fausses. La démocratie n’existe pas au Congo ! Les Congolais n’ont-ils pas le droit de jouir d’une existence normale à l’instar d’autres peuples ? Il faut se lever pour dire « Non ! » à cette situation. Mais, nous devons d’abord nous organiser. J’invite les Congolais à s’organiser. Quel rôle comptez-vous jouer à l’avenir ?
Je dois au préalable consulter tout le monde. Le Congo devra être un pays où il fait bon vivre pour nos enfants. J’ai vécu en exil en Belgique durant près de dix ans. Je suis rentré au pays avec l’espoir de faire rapatrier tous les membres de ma famille. Me voilà à nouveau en Europe où je me sens en liberté. Et dire que je ne me suis jamais sentie aussi libre dans mon propre pays. Pour la petite histoire, après notre acquittement, j’ai reçu un « message » : « Malgré l’acquittement, nous allons l’enlever ».
Quand comptez-vous rentrer à Kinshasa ?
Je ne sais pas encore. A votre arrivée à Bruxelles, vous sembliez comprendre le soutien qualifié unanimement de « mou » exprimé à votre endroit par vos camarades de l’Union pour la Nation. Gardez-vous le même sentiment ?
Pour l’instant, nous avons l’obligation de ne pas affaiblir la « petite opposition ».
Avez-vous un message à transmettre à la population ?
Je voudrais demander à la population congolaise de se libérer de la peur. Personne ne pourra construire ce pays sans le peuple congolais. Le peuple congolais sera un peuple libre selon qu’il sera complaisant ou responsable. J’en profite pour inviter le gouvernement à initier une loi d’amnistie. C’est un geste de conciliation. C’est un pas vers le respect des droits de l’homme. C’est également un pas vers l’instauration de l’Etat de droit. C’est-à-dire un Etat où les pouvoirs publics peuvent être condamnés en cas de violation de la loi. Il faut dire que, pour le moment, la loi congolaise protège l’impunité et condamne l’innocence…
Propos recueillis par B. Amba Wetshi
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Questions directes à Marie-Thérèse 1ère partie
Avocate au Barreau de Kinshasa et femme politique, Marie-Thérèse Nlandu Mpolo Nene, 53 ans, évoque les circonstances de son arrestation et les conditions carcérales qu'elle a vécu tant à Kin-Mazière, le siège de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police (DRGS) qu'à l'ex-prison centrale de Makala.
«Les policiers de « Kin-Mazière » n'ont rien à envier aux Nazis SS. C'est une police politique »
Quelles sont les circonstances exactes de votre interpellation le 21 novembre 2006 au siège de la DRGS ?
Les circonstances de mon arrestation demeurent obscures. Aujourd'hui, je crois pouvoir dire qu'il s'agissait de m'écarter, en tant qu'avocate, du recours en contentieux électoral introduit par Jean-Pierre Bemba devant la Cour suprême de Justice. Selon les informations en ma possession, les commanditaires de mes ennuis judiciaires auraient estimé que j'étais une avocate « coriace et difficile à corrompre »…
Commençons par le lundi 20 novembre de l'année dernière
Je suis allée, ce jour, à la recherche de mes collaborateurs qui avaient été enlevés le 20 novembre vers 15 heures. Dès que j'ai appris la nouvelle, ai fait un communiqué sur les antennes de la télévision « Canal Kin » en exigeant leur remise en liberté. J'ai, par la suite, téléphoné au colonel Raüs (Chalwe Ngwashi) afin de lui faire part du « rapt » de mon personnel au niveau du Quartier « Ma campagne », dans la commune de Ngaliema.
Pourquoi avez-vous pensé spécialement à Raüs ?
Je voulais simplement avoir une entrevue avec un responsable de la police. Jusque là, j'étais loin d'imaginer que les membres de mon personnel étaient détenus à Kin-Mazière. En fait, je m'étais rendue d'abord à la PIR (Police d'intervention rapide), dans la commune de Kasa- Vubu. Je souhaitais d'ailleurs m'adresser directement au patron de la police nationale, le général Katsuva wa Katsuva. Une idée m'est venue d'approcher le colonel Raüs. Et ce pour la simple raison que les policiers de Kin-Mazière ont la fâcheuse réputation d'arrêter les gens pour des motifs futiles. Raüs me répondra qu'il se trouvait à l'aéroport de Ndjili. Et que ce genre de problème devait être traité le lendemain. En fait, il mentait. Il ne se trouvait pas à l'aéroport. Il était à son bureau où il torturait mon personnel.
Vous voulez dire que vos collaborateurs ont été torturés ?
Effectivement. Mes collaborateurs ont subi des tortures notamment au niveau de l'appareil génital. L'un d'entre eux redoute d'ailleurs de développer une forme de stérilité. A Kin-Mazière, des policiers leur introduisaient un bâton dans la voie anale. Un membre de mon personnel a été « crucifié » sur une porte. Il était ainsi ballotté chaque fois que l'on ouvrait ou refermait cette porte. Je peux vous dire que les policiers de Kin-Mazière n'ont rien à envier aux «Nazis SS ».
Que reproche-t-on à vos collaborateurs ? .
Rien du tout. A part le fait qu'ils travaillaient pour votre serviteur. D'ailleurs, le procès-verbal rédigé par les policiers de Kin-Mazière commence comme suit : « D'ordre de la hiérarchie, nous procédons à l'interrogatoire de… ». Qui a donné l'ordre d'interroger les gens ? On se trouve manifestement face à des agents public n'ayant aucune notion du droit. L'immeuble « Kin-Mazière », abrite, en réalité, une police politique. Le colonel Raüs se trouve à la tête d'une police politique. C'est une situation dangereuse pour la démocratie ! La démocratie ne peut en aucun cas s'accommoder de l'existence d'une police politique autant que de prisonniers politiques. Que personne ne vous trompe : pour le moment, il n' y a pas de démocratie au Congo-Kinshasa. Il y a, au contraire, de la haine politique. Malheur aux citoyens qui ne sont ni « Katangais » ni swahiliphones ! Ceux-ci sont exclus. En cas de problème, il n'y a aucun recours. C'est l'expérience que je viens de vivre.
Passons à la journée du mardi 21 novembre . Vous vous rendez à Kin-Mazière…
Je me rends donc à Kin-Mazière. A l'accueil, j'ai pris soin de rappeler mon contact téléphonique, la veille, avec le colonel Raüs. Chemin faisant, j'ai demandé si mes collaborateurs se trouvaient en ce lieu. Le préposé de répondre : « Je ne sais pas ! ». Et pourtant, j'ai reconnu leur voiture. Elle se trouvait dans le parking de Kin-Mazière. « Est-il possible de leur apporter de la nourriture ? », ai-je ajouté. Réponse : « Si vous voulez ». C'est à partir de ce moment que j'ai eu la certitude que mes collaborateurs y étaient détenus. Mon interlocuteur finira par me conseiller d'aller « au-dessus » pour rencontrer un des responsables. Ce que j'ai fait.
Qui était votre interlocuteur ?
C'est un agent chargé de l'Accueil. A l'étage, j'ai rempli une demande d'audience. Un agent m'a conduit dans un bureau. J'y trouve une personne de forte corpulence à laquelle je me présente. L'homme crie : « Ah ! Vous osez venir jusqu'ici ? Vous avez osé ?» Il lâche un ordre : « Saisissez-la ! ». Un policier m'arrache aussitôt mon téléphone portable avant de m'obliger à me déchausser. Le doigt pointé sur mon visage, le fameux responsable revient à la charge : « Toi ! Du temps de Mobutu, osais-tu ouvrir la bouche ? ». « Assieds-toi par terre !». Je saurai plus tard que mon interlocuteur s'appelle Daniel Mukalay. C'est un colonel de la Direction des renseignements généraux et services spéciaux de la police. Mère de famille, avocate et femme politique, ancienne candidate à l'élection présidentielle, j'ai été humiliée. Le colonel Mukalay de me dire : « Maître, souvenez-vous, hier, on vous a mis en contact avec quelqu'un qui était au bout du fil… ». C'est à partir de ce moment que j'ai compris que je suis tombé dans un traquenard. J'étais victime d'un complot.
C'est quoi cette affaire de téléphone ?
Lundi 20 novembre, le pasteur José Inonga est venu à mon domicile me disant qu'il était porteur d'un message de M. Jean-Pierre Bemba. Selon lui, Bemba appelait la population au calme afin de laisser la Cour suprême de Justice examiner le recours en contentieux électoral, dans la sérénité. Pendant qu'il se trouvait chez moi, son téléphone sonne. Après quelques mots échangés avec le correspondant, je l'entends dire : « Monsieur le vice-président je suis avec Me Nlandu. Je vous la passe ». Il me tend l'appareil. Je dis « Allo ! ». L'interlocuteur ne bronche pas. Croyant parler avec M. Bemba, j'ai dis ceci : « Monsieur le vice-président, je m'en vais à la Cour suprême de Justice afin de lire la requête. Je vais relever les imperfections éventuelles et préparer la défense.» Au bout du fil j'entends juste un mot : « merci ! ». Un certain doute m'a saisi. En effet, je n'ai pas reconnu le timbre de la voix de M. Bemba. Je remets le téléphone au pasteur José qui continue à converser avec la personne.
Dans quelles circonstances avez-vous connu ce « pasteur » ?
C'est un membre de mon parti «Congo Pax ». Il y a adhéré depuis une dizaine de mois.
Vous allez donc à la Cour suprême de Justice.
Arrivée à la Cour , je suis accueillie par une foule immense qui criait : « Avocat na biso aye ! » (Traduction : notre avocate est là !). Le greffier de la Cour suprême m'a approché : « Maître, dit-il, les magistrats auront du mal à travailler face à un tel attroupement de la population». Il ajoute : « En votre qualité de femme politique, pourriez-vous inviter la population à rentrer chez elle ?». J'ai fait comprendre à ce greffier qu'il serait bon par la même occasion de communiquer au public la date de la prochaine audience. Je tiens à signaler que toutes les forces de sécurité (Police, Eufor, Monuc…) étaient tout autour du bâtiment de la Cour suprême. Après avoir recueilli les informations appropriées au greffe, je me suis adressée au public en ces termes : « L'audience aura lieu demain le 21 novembre. Le numéro du dossier est RCE 009. Si vous voulez suivre les débats, il faudra vous imposer un minimum de discipline. C'est un dossier d'Etat duquel dépendra l'avenir du Congo ». J'ajouterai : « Nous ne voulons pas d'une recolonisation du Congo, fut-elle africaine. »
A quoi faisiez-vous allusion ?
Je faisais allusion à tous les pays limitrophes. Je ne sais pas si nous avons encore notre pays. A l'Est, il y a des menaces. Au Sud, il y a l'affaire Kahemba. J'ai appris que le territoire de Moba serait entre les mains d'un Etat voisin. C'est ainsi que j'ai poursuivi : « Nous refusons toute re-colonisation aujourd'hui. Il est temps que nous soyons souverains. Pourquoi, les autres peuples peuvent-ils être souverains et pas les Congolais ? ». D'aucuns m'ont reproché d'avoir tenu ce discours.
Quelle est votre version des faits au sujet de l'incendie d'une aile de la Cour suprême de Justice ?
Une question : j'aurai fait brûler le bâtiment de la Cour suprême de Justice pour atteindre quel objectif ? J'étais l'avocate de M. Bemba. J'avais donc besoin de cette juridiction pour gagner le procès. L'Union pour la nation avait un intérêt immédiat : gagner le procès!
Sait-on ce qui s'est réellement passé ?
J'ai sollicité l'organisation d'une enquête internationale afin de savoir qui avait mis le feu sur ce bâtiment. Selon certains témoignages, ce sont des policiers qui ont bouté le feu sur cet édifice. Membre d'une association de défense des droits humains, une dame soutient avoir vu les éléments de PIR (Police d'intervention rapide) allumer le feu. Selon ce témoin, des fonctionnaires onusiens auraient filmé la scène. Un autre témoin n'est autre que le capitaine Alain Badibanga. Celui-ci a déclaré sur les antennes d'une télévision kinoise d'avoir aperçu les agents de PIR entrain de procéder à la mise à feu. Badibanga a été arrêté et torturé pour avoir fait cette révélation. Finalement qui a ordonné l'incendie de la Cour suprême de Justice ? L'ordre vient manifestement du pouvoir duquel dépend la police.
Il vous a été reproché une phrase prononcée au moment où les forces de sécurité commençaient à quitter le périmètre de la Cour suprême de Justice
On se trouvait dans la salle d'audience aux alentours de 9 heures. Quelques heures après, nous avons entendu des balles crépiter à l'extérieur. Des gens ont commencé à incendier des véhicules. Les forces de sécurité se sont empressé de quitter le lieu. Sous le feu de l'action, j'ai accordé deux interviews. « Nous ne voulons plus de dirigeants qui accèdent au pouvoir par les armes », ai-je déclaré dans la première. J'ai donné la seconde interview au moment où on entendait les détonations de l'armement lourd. J'ai déclaré ce qui suit : « Les balles crépitent de partout. Nous ne sommes pas protégés. » C'était une manière pour moi d'appeler « au secours !». Je suis un avocat des droits de l'homme. Je suis pour la protection des personnes et des biens. J'ajouterai : «Le peuple doit être souverain. Il doit devenir l'armée la plus forte du monde et rester debout ». Est-ce cela une incitation de la population à aller commettre des actes de vandalisme ?
Vous avez été accusée de détention d'armes et de participation à un mouvement insurrectionnel. Quel est votre commentaire sur cette qualification des faits ?
Ce sont des accusations fondées sur la mauvaise foi.
Aviez-vous des grenades dans votre voiture ?
Pour quoi faire ? Que vais-je faire avec des grenades ? Lors de mon arrestation à Kin-Mazière, les policiers ont saisi mon téléphone portable de marque « Nokia » et mes chaussures. Ce sont des grenades peut-être !
Il vous a été également reproché d'avoir des éléments de l'ex-Garde civile dans votre entourage
La Garde civile. Lorsque M. Kabila a pris le pouvoir en 1997, il a démobilisé tous les militaires et la Garde civile. Le pays n'avait plus d'armée. J'avais besoin de gardiens de nuit. Il n'est un secret pour personne que les ex-militaires et autres gardes civils sont recrutés pour servir de vigile ou de gardien. En 2005, j'ai été contacté par les familles des anciens militaires exilés au Congo-Brazzaville au nombre de 1 200 personnes. Le gouvernement ne voulait pas de leur retour. Je soutenais la thèse contraire pour la simple raison que ces militaires rentraient dans leur pays. Ceux-ci ont fini par rentrer. Ils ont été envoyés au brassage à Joli-Site. Je n'ai pas pu suivre l'évolution de ces soldats. Tout ce que je sais c'est qu'au 10 janvier 2006, il y avait dix morts parmi eux. Quand j'ai appris cette nouvelle, je n'ai plus voulu intervenir dans ce dossier. D'autres militaires exilés à Pointe-Noire attendaient de regagner le pays. Est-ce un crime, en tant qu'avocat, d'assister un militaire ?
Propos recueillis par B. Amba Wetshi
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